Patrick WILLIS : en avance sur son destin, en retard sur l'Histoire

L'adieu aux larmes.
L'adieu aux larmes.
le 16/03/2015 à 18:29 par Tili

Depuis l’apparition de la rumeur lundi 9 mars 2015, difficile d’y croire. Toujours l’espoir fou qu’il s’agit d’un bruit de couloir infondé. Le lendemain, l’instant fatidique arrive, le verdict tombe et il faut se résigner. À 30 ans, Patrick WILLIS, linebacker star des 49ers, prend bel et bien sa retraite. Les raisons diffèrent mais avec a priori encore quelques belles années devant lui, cette situation rappelle celle de Barry SANDERS. Une carrière époustouflante laissant un goût d’inachevé. Au cours d’une conférence de presse sobre et emprunte d’humilité, le joueur explique que son état physique motive sa décision. Sa blessure au pied s’avère plus contraignante qu’attendu. Il n’envisage pas de jouer s’il ne peut évoluer à son niveau. Également, il n’aspire pas à être complètement cassé physiquement par le football d’ici quelques années. Un cheminement réflexif empli de sagesse et de maturité, un choix logique et rationnel. Pas une simple retraite pour d’obscures raisons spirituelles comme on pouvait le lire à droite à gauche.

 

Le plus regrettable d’un point de vue héritage concerne le timing de sa carrière. Arrivé trop tôt dans un certain sens, en mesure de marquer à jamais les annales de sa position et du jeu, il quitte les terrains prématurément, s’enlevant l’opportunité de combler ou creuser l’écart avec ses éminents prédécesseurs.

Patrick WILLIS débarque comme un ouragan en 2007, avec le potentiel pour mettre la ligue à ses pieds pendant longtemps. Ceci en tant que référence à son poste pour sa génération, voire celles passées. Seulement entre 2008 et 2010, même s’il excelle, il évolue dans l’ombre immense de son illustre aîné : l’incontournable, l’omniprésent Ray LEWIS, bien déterminé à protéger son statut de numéro un. Individuellement, le 49er est monstrueux sur la période. Plus jeune, il laisse une impression visuelle forte qui marque les esprits : plaquages ravageurs, activité sideline-to-sideline, jeux partout sur le terrain, intensité… Autant de facettes qui ne sont pas sans rappeler la version jeune de son modèle et homologue des Ravens, à qui il est continuellement comparé. D’autant qu’il porte le même numéro et possède un physique identique. Parallèlement, LEWIS délivre trois exercices aussi solides, quoique dans un autre registre. Moins hyperactif, davantage dans l’efficience et la partie d’échecs mentale avec le quarterback adverse, à l’efficacité similaire. Avec en prime des résultats collectifs. WILLIS s’impose comme le successeur naturel de LEWIS, dommage que celui-ci n’ait pas encore dit son dernier mot. Le passage de flambeau définitif attendra. Comme si le joueur de San Francisco était arrivé trop tôt.

Entre 2011 et maintenant, alors que le trône devient accessible, il doit faire face à l’émergence de nouvelles pouces qui contestent son bien. Ironie du sort ? L'une d’elles n’est autre que son partenaire NaVorro BOWMAN. Il faut attendre 2011 pour qu’un LEWIS vieillissant (36 ans) ne soit plus le meilleur inside linebacker (ILB) parmi les siens. Pour WILLIS, la transition s’opère petit à petit au même moment, alors qu’il est toujours en pleine force de l’âge (26 ans). Comme si la relève était arrivée trop tôt.

À chaque chose malheur est bon. Timing défavorable individuellement, décisif collectivement. En effet, en guise de consolation, il forme sans doute le duo le plus prodigieux d’ILB que la NFL ait connu. Le seul désigné dans la première équipe All-Pro. Une prouesse historique réalisée non pas une mais deux fois, en 2011 et 2012. Le tout au sein d’un corps de linebackers exceptionnel auquel s’ajoutent Aldon SMITH et Ahmad BROOKS. Avec quelques saisons supplémentaires au complet, cette ligne aurait aisément accédé à la postérité au même titre que la Dome Patrol ou celle des Giants des années 80. En outre, sa défense permet d’obtenir des victoires et une régularité d’ensemble dont peu peuvent se vanter. Il loupe pourtant le coche. Dans un premier temps en tant qu’équipe. Tout d’abord, il trébuche sur des Giants en état de grâce pour la deuxième fois en quatre ans (NFC Championship 2011). Puis, il rend les armes face à des Ravens en mission, autorisant au passage son alter ego flanqué du 52 à mettre un point final à sa légende à hauteur de celle-ci (Super Bowl XLVII). Enfin, il cède contre des Seahawks appelés à être l'équipe de la décennie (NFC Championship 2013). Dans un deuxième temps en tant que défense. Entre 2011 et 2014, les 49ers possèdent l’une des trois meilleures du championnat. Sur le podium, sans parader sur la plus haute marche. Une fois n’est pas coutume, il se fait voler la vedette à plusieurs égards. Le plus cruel ? Par un rival de division. Aussi dominante que soit sa défense : elle ne réalise aucun exercice d’anthologie, elle ne parvient pas à emmener tout le monde jusqu'au Graal, elle se fait régulièrement exposer en playoffs, elle ne mène la ligue ni aux points ni aux yards. Contrairement à Seattle entre 2012 et 2014. WILLIS et les 49ers ont tout pour régner. Toutefois, une équipe plus jeune, pas forcément plus talentueuse, plus stable et avec plus de réussite leur barre la route ; écrivant à leurs dépens un récit plus grandiose, possible point de départ d’un mythe défensif. Comme si le rival était arrivé trop tôt.

Finalement, à titre individuel, la déferlante des nouveaux aux dents longues depuis 2012 le relègue presque au second plan. Pour preuve : un joueur de son calibre ne s’immisce guère dans les conversations relatives au trophée du défenseur de l’année. Des prestations continuellement parmi les plus remarquées, mais visiblement pas suffisamment pour être récompensées. Au contraire de son double, pour beaucoup le défenseur de l’année oublié en 2013. Et depuis deux ans, la nouvelle garde symbolisée par Luke KUECHLY et Bobby WAGNER prend le pouvoir. Le premier sert déjà d’unité d’étalonnage quand le talent du second explose progressivement aux yeux de tous, contrebalançant une discrétion qui dévalorise ses performances au sein du onze le plus médiatisé. Comme si la fin de la fenêtre d’excellence était arrivée trop tôt.

 

Élément prépondérant du renouveau à San Francisco, Patrick WILLIS redonne des couleurs à une organisation dans le dur depuis 2003. Si l’Histoire retiendra qu’il est le moteur du redressement et l’un des artisans principaux de la route jusqu’au Super Bowl XLVII, elle retiendra peut-être qu’il est le visage de l’unique équipe des 49ers défaite lors du Big Game. Le verre à moitié plein… Ray LEWIS quitte la NFL en grandes pompes après une campagne de playoffs épique ponctuée par un deuxième titre ; Patrick WILLIS sort abruptement par la petite porte après une saison abrégée par une blessure, sans même avoir l’occasion de faire ses adieux à son public. Restera malgré tout cinq nominations dans la première équipe All-Pro (dont quatre consécutives) et une dans la seconde, un défenseur emblématique d’une franchise réputée pour ses attaquants, un style de jeu féroce, un linebacker dynamique irréprochable sur et en dehors du terrain, un plaqueur en série redouté, intense et sûr, un meneur, un passé singulier conférant un côté attachant au personnage. Un parcours susceptible de lui assurer malgré tout une place à Canton. Un immense joueur qui sera regretté. En avance sur son destin compte tenu de la chronologie des évènements qui ont jalonné sa carrière. En retard sur l’Histoire compte tenu de la place qu’il aurait pu y occuper. Bon vent, Patrick WILLIS !

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 Quand tu gagnes, ne dis rien. Quand tu perds, dis-en encore moins.  – Paul Brown

En VO :  When you win, say nothing. When you lose, say less. 

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