L'histoire d'une certaine amérique en 3 parcoursWoodrow Strode, Kenny Washington et Jackie Robinson
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Dans la Rome républicaine puis principalement impériale, il y avait les jeux du cirque avec entre autre des gladiateurs professionnels (qui s’engagent à partir pour des contrats de 3 à 5 ans en échange de l’abandon temporaire de leur citoyenneté romaine) s’affrontant dans l’arène pour la gloire et surtout l’argent ; mais à côté de ces gladiateurs professionnalisés, il existe des combats entre adversaires issus des conquêtes romaines et qui portent leurs armes traditionnelles (comme les Thraces ou les Samnites) en espérant un jour racheté leur liberté. C’est parmi ce second type de gladiateurs serviles que l’on va retrouver un certain Thrace (passé par les légions romaines en tant qu’auxiliaire) du nom de Spartacus qui deviendra le héros tragique que l’on connait à la tête d’une troupe de 120.000 personnes (alors qu’il était parti de Capoue avec 70 de ses congénères).
Vous me direz quel rapport avec la NFL ? Évidement je ne compare pas un joueur de NFL avec un gladiateur (même volontaire) de l’époque romaine : ce serait abusif et erroné… mais par contre, en revoyant récemment le Spartacus de Kubrick je n’ai pu m’empêcher de repenser à l’histoire de Woodrow Wilson Strode et à celle de ses partenaires d'UCLA.
Né à Los Angeles, Strode va intégrer l’Université d’UCLA grâce à ses performances mondiales de décathlonien dans un temps troublé : en 1936 sa photo « nue » est retirée de l’exposition en marge des olympiades berlinoises à la demande des nazis. Mais après sa pratique sur le terrain d’athlétisme, Strode va intégrer avec Kenny Washington et Jackie Robinson l’équipe de football des Bruins d’UCLA pour jouer dans le backfield. Nous sommes alors en 1939, et UCLA aligne alors 4 joueurs noirs sur le terrain (Ray Bartlett était déjà dans l’équipe à leur arrivée), soit plus du tiers de tous ceux présents en NCAA ; et cela se passe bien sur le terrain pour les Bruins qui enchainent les victoires et se placent pour une participation au Rose Bowl : tout doit se jouer sur le match face à USC, mais les deux équipes se neutralisent et le score final sera de 0-0. Sur tapis vert, USC va disputer le Rose Bowl et devient champion universitaire après avoir battu sévèrement les Volunteers du Tennessee.
L’année suivante le quatuor est éclaté par la guerre, et Strode doit aller faire son service comme Robinson, alors que Washington est exceptionnellement exempté. Entre 1941 et 1944, Strode est donc sur le front du Pacific. Washington qui a échappé à la conscription sort d’UCLA avec des honneurs au rabais par rapport à son talent (il est le joueur qui a remporté le plus de yards en attaque de toute la NCAA en 1939) : il n’est élu que comme remplaçant dans l’équipe 2 des All-Americans, et n’est même pas invité au match de gala entre l’Est et L’Ouest.
Washington tente tout de même de rejoindre la NFL en 1941 et George Halas (l’un des coachs légendaires des Bears) lui propose un contrat… qui est refusé par les propriétaires NFL. Sans permis de travail en NFL, Washington va devoir se contenter de jouer dans une ligue mineure de Californie et pour l’équipe des Hollywood Bears jusqu’en 1945.
Du côté de Robinson, la sortie du service militaire est aussi compliquée que son entrée à l’issue de Pearl Harbour : toujours empêché de rejoindre la NFL et doit se contenter de jouer pour les Los Angeles Bulldog de la ligue pacifique, ce qui toujours mieux que l’équipe « réservée aux noirs » ou il évoluait en 1941.
En 1946, le trio d’UCLA va enfin voir les choses évoluer… enfin pas tous dans le même sens et aucun avec un succès immédiat. Pour Robinson, c’est l’abandon du football avec un premier contrat dans une équipe de Baseball de la ligue « Négro » : les Kansas City Monarchs. Mais en 1947, son talent est tellement évident que les Dodgers lui proposent un contrat pour jouer en ligue mineure ; mais les clauses sont strictes : il ne doit pas dormir, manger ou se déplacer avec ses partenaires blancs. Mais une année plus tard, les Dodgers lui donnent sa chance en ligue professionnelle et il deviendra le premier joueur noir depuis la création de la MLB en 1880 à fouler un terrain de baseball malgré de gros remous au sein de l’équipe ; le manager des Dodgers aura ce discours célèbre : « je m’en fou si ce gars est jaune ou noir, ou s’il a des rayures comme un putain de zèbre. Je suis le manager de l’équipe et il va jouer. Je peux aussi vous dire qu’il a le talent pour nous rendre riche. Et si aucun de vous ne souhaite qu’il nous rapporte de l’argent, je verrais pour vous transférer ! »… et de l’argent il va en rapporter à son club car ses performances sur les terrains sont stellaires et il remporte à la fin de la saison le titre de rookie de l’année en MLB (le premier titre de l’histoire car avant il y avait un MVP par conférence).
De leur côté, Strode et Washington vont eux enfin pouvoir jouer au football professionnel et cela grâce au propriétaire du Los Angeles Coliseum qui va « prêter » son stade aux nouveaux venus dans la ville à la condition express que l’équipe intègre des joueurs noirs car le stade est financé par des fonds publics et ne peut être loué à une équipe ségrégationiste du fait de la jurisprudence "Plessy vs Ferguson" de la court supréme des USA (1896) qui statut entre autre sur les stades financés par des municipalités : de ce fait en 1946, les Cleveland Rams devenus les Los Angeles Rams vont signer le 21 mars Kenny Washington, puis le 7 mai Woodrow Strode qui sont un peu les « enfants du pays » vu que la fac d’UCLA est à quelques encablures du Los Angeles Coliseum.
Washington va jouer 3 ans pour les Rams avec pas mal de succès : il dispute 27 matchs et couvre un peu plus de 850 yards en 140 courses (soit 6,1 yards par course de moyenne) et inscrit 8 TD. De son côté Strode ne va faire qu’un passage express chez les Rams puisqu’après une saison difficile ou il subit de nombreuses attaques liées à sa couleur de peau, il préfére raccrocher les crampons et filer au Canada pour continuer a jouer au football : recruté par les Calgary Stampeders il remporte la Grey Cup 1948, avant d’arrêter sa carrière sur blessure en 1949. Cette même année il décide de faire quelques exhibitions de catch avant de trouver sa voie : le cinéma. Si tous les deux ont eu une carrière courte et difficile dans l’ancêtre de la NFL, il n’en reste pas moins qu’ils auront marqué durablement l’histoire puisqu’entre 1933 et 1946 aucun noir n’avait foulé les terrains de football (en dehors des ligues « negro »).
Pour les « 3 d’UCLA » les années qui vont suivre seront différentes, mais tous 3 vont continuer a marquer leur époque et une Amérique ségrégationniste. Kenny Washington sera introduit au Hall of Fame NCAA en 1956 et son maillot « 13 » sera le premier maillot jamais retiré par UCLA ; il restera d’ailleurs toute sa vie à Los Angeles puisqu’il rejoint la police locale à l’issue de sa courte carrière de footballeur.
Jackie Robinson va lui révolutionner le baseball en étant elu MVP de la ligue en 1949, en remportant le championnat en 1955 et en étant 6 fois élu dans l’équipe All Star. Mais la MLB va continuer à l’honorer bien après sa mort en 1972 : en effet en 1997 la ligue retire son numéro « 42 » du roster de l’intégralité des équipes, en renommant le trophée du MVP rookie « Robinson Award » et en créant une journée de championnat en son honneur. Mais l’autre fait d’arme de Robinson aura été de « casser la barrière » raciale en devenant le premier reporter noir sur un média national (ABC en 1965).
Quand à Woody Strode, il va devenir l’un des acteurs les plus populaire du Hollywood des années 50-60 et son physique de géant (1m93) va lui permettre, entre autre, de devenir l’adversaire de Kirk Douglas dans Spartacus (rôle pour lequel il sera nominé pour les Globe Awards). Il jouera aussi un rôle de Roi d’Ethiopie dans les 10 commandements de Cécil B. DeMille, ou celui de cowboy dans plusieurs films de John Ford (Il sera l’un des premier noir à avoir un rôle principal grâce au Sergent Rutledge de Ford) ; mais certains d’entre vous se rappellent peut être plus de lui dans les films spaghetti ou il va jouer durant de nombreuses années avec plus ou moins de succès (son plus gros film étant dans « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone).
J’espère que par le biais de la lecture de ce rapide article, vous aurez un regard différent sur le Spartacus de Kubrick la prochaine fois qu’il passera sur votre écran : une vision sur tout un pan de l’Amérique et sur ses héros qui ont cassé les barrières raciales.