Défenseurs et MVP : ces rois sans couronne

Depuis trois ans, à force de performances toutes plus remarquées les unes que les autres, J.J. WATT, defensive end (DE) des Houston Texans, accède au titre honorifique de défenseur le plus dominant de la NFL. Cette saison, il semble avoir encore élevé le niveau. À tel point que son nom revient régulièrement dans la course au MVP. Depuis la création de ce trophée en 1938, uniquement deux défenseurs reçoivent cet honneur : Alan PAGE, defensive tackle (DT) des Minnesota Vikings en 1971, et Lawrence TAYLOR, outside linebacker (OLB) des New York Giants en 1986. Mike SINGLETARY en 1985, Wilber MARSHALL en 1986, Reggie WHITE en 1987, Bruce SMITH en 1990, Ray LEWIS en 2000, Derrick BROOKS en 2002, Darrelle REVIS en 2009… État des lieux non exhaustif à partir des années 80 de ces rois privés de couronne.
Les adeptes de football défensif ne peuvent que se réjouir qu'un défenseur comme J.J. WATT attire autant l'attention de ce côté du ballon, dans une ligue qui n'en a plus que pour les quarterbacks (QB) et les wide receivers (WR). En revanche, la hype ambiante paraît légèrement disproportionnée. Dans le sens où, oui il est dominant comme peu de défenseurs avant lui, mais justement il n'est pas le seul à avoir dominé ainsi. Seulement, ses prédécesseurs n'ont pas forcément eu la reconnaissance, le crédit et/ou l'attention qu'ils méritaient en matière de MVP.
MIKE SINGLETARY, MLB, CHICAGO BEARS, 1985
WILBER MARSHALL, OLB, CHICAGO BEARS, 1986
passe du QBQuarterback
c'est le stratège de l'équipe. Il décide des tactiques avec ses coachs. Il est chargé de transmettre la balle à ses coureurs et de distiller les passes à ses receveurs. rattrapée par un défenseur (un adversaire). retournées pour 68 yards et 1 touchdown, 4 fumbles forcés, 3 fumbles recouverts retournés pour 12 yards et 1 touchdown. Joueur le plus craint au sein de l’unité la plus terrorisante, ses performances élèvent la défense des Bears au rang numéro un en termes de points et yards encaissés pour la deuxième saison consécutive.
REGGIE WHITE, DE, PHILADELPHIA EAGLES, 1987
plaquage du QB dernière la ligne de scrimmage (perte de terrain).. 21 SACKS EN 12 MATCHS ! Pour apprécier ce chiffre à sa juste valeur, il faut savoir que le record de l’époque est détenu par Mark GASTINEAU, DE des New York Jets, avec 22 en 1984. Depuis 2001, il appartient à Michael STRAHAN, DE des New York Giants, avec 22.5. Dans les deux cas, il s’agit d’exercices à 16 matchs. À ce jour, la marque de WHITE trône toujours au 4ème rang des saisons les plus prolifiques. À ce total démentiel s’additionnent par ailleurs 76 plaquages, 4 fumbles forcés, 1 fumble recouvert et retourné pour 1 touchdown de 70 yards.
BRUCE SMITH, DE, BUFFALO BILLS, 1990
formation défensive avec 3 linemenLinemen
littéralement, les hommes de la ligne (de scrimmage). Il y a les linemen offensifs et les défensifs. Ils s'opposent dès le snapSnap
signal de départ de l'action, quand le centre transmet la balle au QB. donné. et 4 linebackers.. En 1990, Bruce SMITH des Buffalo Bills montre déjà la voie. Il réalise une saison à 101 plaquages, 19 sacks, 4 fumbles forcés, le tout pour un DE de 3-4 donc. Cependant, il pâtit de l'ère des « Quatre Fantastiques » à San Francisco (Joe MONTANA, Jerry RICE, Roger CRAIG, Ronnie LOTT). Ces 49ers, en lice pour un triplé historique, sont alors une franchise plus flashy et plus glamour que les Bills. Joe MONTANA met donc la main sur son deuxième trophée de MVP consécutif. Cela se défend : ils finissent à 14-2 pour la deuxième fois d’affilée ; sans être forcément indiscutable : l’attaque termine 8ème aux points, MONTANA lance 26 touchdowns (3ème meilleur total) pour 16 interceptions (7ème pire total), complète 61.7 % de passes (3ème meilleur pourcentage chez les titulaires) et engrange 3944 yards (3ème meilleur total).
RAY LEWIS, MLB, BALTIMORE RAVENS, 2000
Terme générique qui englobe les HB et les FBFullback (FB)
coureur puissant et polyvalent. Il joue le rôle de bloqueur, de receveur et de bulldozer balle en main. Constitue avec les halfbacks (HB), les running backs (RB).. à tout faire des St. Louis Rams s’adjuge le sésame en établissant le nouveau record de touchdowns inscrits sur une saison avec 26 (marque surpassée à trois reprises : en 2003, 2005 puis 2006). De leur côté, les Ravens battent deux records collectifs qui tiennent toujours et ne tomberont probablement jamais : nombre de points (165) et de yards au sol (970) concédés sur une saison de 16 matchs. En outre, les troupes de LEWIS emmènent jusqu’au titre une attaque indigente. Ses statistiques ne sont a priori pas extraordinaires : 137 plaquages, 3 sacks, 2 interceptions retournées pour 1 yard, 3 fumbles recouverts. Mais sa défense multiplie comme jamais les « 3&outs », réduisant ainsi les opportunités de gonfler davantage les statistiques personnelles. À ce jour, l'exercice de LEWIS est toujours considéré comme la référence pour un MLB. D’avis personnel, sa saison 2003 se situe visuellement encore un cran au-dessus. En compagnie des Bears 1985 (et pas assez souvent des Buccaneers 2002), la défense des Ravens 2000 est régulièrement citée dans les conversations relatives à la meilleure de tous les temps.
DERRICK BROOKS, OLB, TAMPA BAY BUCCANEERS, 2002
DARRELLE REVIS, CB, NEW YORK JETS, 2009
UN DÉSAMOUR COMPRÉHENSIBLE… BIEN QU’ILLÉGITIME
D'une manière générale, la défense et les défenseurs sont dévalués en majeure partie depuis la fin de la saison 1977. À l'issue de cet exercice, les défenses sont tellement dominantes et les attaques tellement impuissantes que la ligue légifère pour inverser le rapport de force. La transition avec la saison 1978 marque la fin de la « Dead Ball Era » (période régit par les petits scores et les défenses étouffantes), et le début de la lente prise de pouvoir des attaques. Avec tous les efforts consentis par la ligue pour augmenter le scoring, créditer ceux dont le rôle consiste à l’empêcher relève de la contradiction. La seule exception à la règle étant Lawrence TAYLOR en 1986. Son impact sur le jeu est tel que le récompenser apparaît presque incontournable. Dommage pour le reste car comme évoqué plus tôt, d'autres défenseurs ont réalisé des saisons au moins aussi dominantes. Ils n'ont peut-être pas autant révolutionné la NFL que lui, mais ont contribué à la définition de nouveaux standards : de MLB 4-34-3
formation défensive avec 4 linemen et 3 linebackers. blitzeur et pas forcément assassin sur les plaquages pour SINGLETARY, d’OLB 4-3 redoutable près de la ligne de scrimmage (blitz + contre la course) pour MARSHALL, de DE 4-3 dominant pour WHITE, de DE 3-4 dominant pour SMITH, de MLB 4-3 (2000) et 3-4 (2003) en mode QB de la défense pour LEWIS, d’OLB 4-3 de couverture pour BROOKS, de shutdown corner en homme à homme pour REVIS.
Au royaume de la NFL, nombreux sont les princes défensifs à s’être succédés. Nombreux sont ceux à avoir accédé au trône après s’être élevés au rang de roi ; infimes sont toutefois ceux ayant connu la joie du couronnement. Dans sa longue et riche histoire, la grande ligue connaît maints défenseurs dominants, emblématiques, charismatiques, formidables et incontournables. Néanmoins, le palmarès de la plus haute distinction individuelle ne reflète pas cet état de fait. Les années 70 constituent l’Âge d’Or de la défense. Cette décennie consacre parmi les escouades les plus terrifiantes et dominantes de l’histoire. Purple People Eaters, Doomsday, Steel Curtain, No-Name, Fearsome Foursome, Orange Crush, Gritz Blitz, soit autant d’unités légendaires passées à la postérité et dont les membres éminents, à l’exception d’Alan PAGE, se voient boudés. Même constat depuis pour les fameux Monsters of the Midway, Gang Green, Dome Patrol, Tampa 2, ou encore Steel Curtain 2. Le trop faible nombre de défenseurs gratifiés du titre de MVP interpelle. Les attaquants sont récompensés unanimement lorsque individuellement ou collectivement ils approchent ou battent des records, pourquoi n’en serait-il pas de même pour leurs homologues ? Ce favoritisme apparaît injuste, surtout quand les défenseurs réalisent des saisons exceptionnelles, qui plus est au sein de groupes qui battent des records : de points (Bears 1963, Vikings 1969, Falcons 1977, Bears 1986, Ravens 2000) ou de catégories statistiques (sacks pour les Bears 1984 ; yards pour les Rams 1968, Vikings 1969, Bears 1984, Eagles 1991 ; yards au sol pour les Ravens 2000). Dans un sport hyper collectif comme le football américain, où l’attaque ne peut gagner sans sa défense et vice versa, comment dès lors accepter les accolades à sens unique et négliger la combinaison défensive ultime : performance individuelle au service de la performance collective ?