L'héritage de Reggie WHITE

D'un vert à l'autre.
D'un vert à l'autre.
le 11/05/2016 à 19:20 par Tili

Le Ministre de la Défense compte parmi les étoiles de la NFL. Il est unanimement considéré dans le gotha. La crème de la crème. Pass rusher féroce, longévité exceptionnelle, productivité rare… Autant de facettes constitutives de son aura. Qu’en est-il réellement de son legs ? Quels arguments participent à le cimenter ? La hiérarchisation des joueurs est une pratique usitée, récurrente et appréciée, aussi bien des médias que des fans. Quel est le meilleur élément de telle équipe ? Qui est le plus influent de telle saison ? Qui est le plus grand de tous les temps ? Des questions qui déchaînent les passions, enflamment les discussions, sans forcément trouver de réponses fermes et unanimes. La complexité repose sur la difficulté à dissocier tout en factorisant la performance individuelle dans la performance collective, et inversement. À partir de là, comment estimer quel compétiteur prévaut sur l’autre ? Faut-il s’attarder sur les statistiques individuelles ? Pourquoi pas, mais le football américain reste un sport impliquant moult acteurs sur la pelouse. À quoi bon dominer seul si l’escouade n’avance pas ? Dans ce cas, faut-il s’attarder sur les statistiques de celle-ci ? Pourquoi pas, mais deux précautions s’imposent. Premièrement, elle peut performer indépendamment du joueur. Deuxièmement, elle peut performer sans que cela profite à l’équipe entière. Dès lors, faut-il s’attarder sur les résultats d’ensemble ? Pourquoi pas, mais ils peuvent s’obtenir sans que l’escouade en question soit prépondérante, et/ou que le joueur concerné se mette en évidence. Finalement, l’amalgame de ces trois composantes ne serait-il pas inéluctable pour mener à bien cette gymnastique intellectuelle ? Ces facteurs, à la fois séparés et intimement liés, impactent la performance générale et sont susceptibles de définir l’héritage d’un joueur quasiment dans sa globalité. Compte tenu de l’importance des partenaires, de la densité fluctuante de l’opposition en fonction des époques et du fonctionnement du championnat, il convient d’éprouver ces paramètres à travers le prisme de la qualité des coéquipiers et de la concurrence, ainsi que de la saison régulière et des playoffs. Voici l’exercice que se propose d’effectuer le présent article, afin de discerner l’héritage de Reggie WHITE en tant que defensive end (dimension individuelle), défenseur (dimension collective de son côté du ballon) et joueur de football américain (dimension collective de l’équipe).

 

 

SUCCÈS INDIVIDUEL

Si l’on juge la valeur d’un defensive end voire d’un pass rusher au nombre de fois qu’il plaque le quarterback, Reggie WHITE est sans contestation l’un des plus chevronnés. Depuis 1982, année où la statistique devient officielle, il apparaît : 2e aux sacks en carrière avec 198 (deux unités derrière Bruce SMITH), 1er aux sacks par match avec 0.85 (parmi les joueurs à 80+ unités), 1er aux sacks par saison avec 13.20 (parmi les joueurs à 80+ unités), 2e au nombre de saisons à 10+ sacks avec 12 (une unité derrière Bruce SMITH). Sachant qu’il perd deux ans à jouer en USFL avant d’intégrer les Eagles à 24 ans. Sachant que les attaques adverses adaptent leur plan de jeu pour le neutraliser. Autres performances notables, sur une base annuelle, il fait partie des : 10 à 20+ réalisations, 7 à mener la ligue deux fois (personne ne l’a encore fait trois fois), 2 à mener la ligue deux fois consécutivement. Son incroyable exercice 1987 représente toujours le plus prolifique rapporté au nombre de matchs joués. Au terme d’une campagne où les titulaires n’apparaissent que 12 fois (lock out oblige), il enregistre 21 sacks. Soit la moyenne démentielle de 1.75 par match, alors même qu’en 2001, Michael STRAHAN s’octroie le record brut avec 1.41 (22.5 sacks en 16 rencontres). À ce jour, la marque de 21 trône toujours au 5e rang des saisons les plus productives. Une omnipotence moins tranchée en janvier. S’il possède le 4e plus haut total en carrière avec 12, il l’atteint en 19 sorties. Soit la moyenne de 0.63 sack par rencontre, le situant au 5e rang parmi les joueurs à 15+ matchs de playoffs.

Si l’on juge la valeur d’un défenseur à ses distinctions honorifiques, là encore Reggie WHITE fait sans nul doute partie du panthéon. En compagnie de Joe GREENE, Lawrence TAYLOR, Mike SINGLETARY, Bruce SMITH, Ray LEWIS et J.J. WATT, il est l’un des sept élus plus d’une fois défenseur de l’année. Parmi ses illustres compères, il est celui aux deux trophées les plus espacés (1987 et 1998, 11 saisons), il est également le seul récompensé sous deux tuniques différentes. À ce propos, il est encore l’unique récipiendaire de l’histoire des Eagles, ainsi que le premier des deux de l’histoire des Packers. S’ajoutent 8 nominations dans la première équipe All-Pro. Un record pour un défenseur, partagé avec Bill GEORGE et Joe SCHMIDT (pensionnaires d’une ligue comptabilisant moins de 15 équipes, ce qui réduit les concurrents), ainsi que Bruce SMITH et Lawrence TAYLOR. Une longévité remarquable matérialisée par la saison de ses 37 ans : en 1998, il devient le plus âgé à plaquer le quarterback à 16+ reprises. Une prestation garante de deux distinctions. D’une part, il décroche sa huitième et dernière nomination All-Pro. Gino MARCHETTI, Sam MILLS, Rod WOODSON et lui sont les quatre seuls défenseurs nommés dans la première équipe à cet âge-là. D’autre part, il remporte son deuxième titre de défenseur de l’année, devenant également le plus ancien lauréat. Hélas pour lui, il n’intègre ni le cercle très fermé des défenseurs MVP du Super Bowl, ni celui encore plus restreint de ceux MVP de la saison. Sur ce point, il ne manque pourtant pas d’arguments. Surtout en 1987.

 

Deux maillots, un joueur qui performe sur le long terme, deux saisons d’extra-terrestre, un impact identique… Longévité, régularité, pics d’excellence, records, accomplissements singuliers… Tout ce dont un joueur peut rêver au niveau individuel.

 

SUCCÈS COLLECTIF DE L’ESCOUADE

Le succès individuel, c’est bien. Le diffuser sur tout son côté du ballon, c’est mieux. Les plus grands ont habituellement ceci en commun : être l’élément-clé d’une escouade historique.

Ses années Eagles et 1991

Après l’avènement de 1977 à 1981, la défense des Eagles endure un passage à vide. Il ne s’éternise pas, car les arrivées de Reggie WHITE en 1985 et Buddy RYAN en 1986 l’établissent de manière pérenne parmi l’élite. Malgré le renvoi du deuxième à l’issue de l’exercice 1990, l’arrivée du non moins compétent Bud CARSON, architecte du Steel Curtain, l’aide à repousser ses standards déjà élevés, jusqu’à atteindre des sommets inégalés. Elle ne possède pas de surnom ronflant universellement admis, comme Purple People Eaters, Fearsome Foursome, Doomsday, Dome Patrol… Toutefois, les fans la connaissent sous le pseudonyme Gang Green. Les adversaires, eux, la connaissent en tant que troupe intimidante, punitive, dévastatrice, composée de blitzeurs agressifs et de gros cogneurs. Le grand public, quant à lui, la connaît davantage à travers les matchs auxquels sa rugosité lègue un nom : Bounty Bowl, Body Bag Game, House of Pain Game.

Avec les Eagles 1991, Reggie WHITE fait partie de ce qui est possiblement la plus formidable défense de tous les temps sur une saison. Les discussions du genre lui accordent rarement ce crédit. Pourtant, le débat serait probablement définitivement clos avec une bague à l’appui. Pourquoi ?

Elle réécrit le livre des records sur seize matchs. Elle en égale un, perdu depuis : touchdowns concédés à la course (4 | 2e ex-æquo actuellement). Elle en bat cinq, perdus depuis : drives sans point encaissé (153 | 7e), yards à la course (1136 | 7e), yards par course (2.97 | 5e), DVOADVOA
Statistique avancée de Football Outsiders. Signifie « Defense-adjusted Value Over Average », ou valeur défensive ajustée par rapport à la moyenne. Exprime l’efficacité d’une entité. La DVOA analyse le résultat de chaque jeu de la saison et le compare à la moyenne NFL en tenant compte de la situation et de l’adversaire. Comme ce concept mesure la capacité à marquer, plus le pourcentage diminue pour la défense, plus elle se détache positivement par rapport aux autres ; plus le pourcentage augmente pour l'attaque et les unités spéciales, plus elles se détachent positivement par rapport aux autres.Valeur définitive disponible de 1989 à maintenant, valeur estimée disponible de 1950 à 1988.
contre la passe (-48.6 % | 2e) et DVOA contre la course (-34.9 % | 2e). Elle en bat un, égalé depuis : premières tentatives à la course (53). Elle en détient toujours quatre, intouchables étant donné la frénésie offensive prônée par la ligue : premières tentatives (206), pourcentage de complétion (44.1 %), yards (3549) et DVOA totale (-42.4 %). Les deux derniers, les plus notoires, la propulsent dans un monde, une galaxie à part. 1081 défenses de 1978 à 2015, seulement 9 passent sous la barre des 4000 yards. Peut-être encore plus significatif : l’écart de 246 yards entre les 2es (Steelers 2008 à 3795) et eux est aussi important à 4 yards près que celui entre 2es et 14es (Bills 1999 à 4045). 1702 défenses englobées par le concept de DVOA, seulement une passe sous la barre des -40.0 %. Un trône occupé de manière indiscutable puisque l’écart de 9.5 % entre les 2es (Vikings 1969 à -32.9 %) et eux est aussi important à 0.2 % près que celui entre 2es et 34es (Bears 1958 et Eagles 2008 à -23.6 %).
Malgré la concurrence à distance de deux autres défenses historiques (Saints et Redskins), elle fait partie des escouades trustant le plus de premières places parmi les innombrables catégories statistiques classiques existantes. En l’occurrence, elle règne dans les 23 suivantes : touchdowns nets (16), drives sans point, yards, premières tentatives, conversions en quatrième tentative (2), pourcentage en quatrième tentative (15.4 %), yards par jeu (3.92), yards à la passe (2413), premières tentatives à la passe (133), complétions (206), pourcentage de complétion, évaluation (52.1), sacks (55), pourcentage de sacks (10.5 %), yards dus aux sacks (394), yards nets par tentative de passe (4.62), yards nets ajustés par tentative de passe (2.99), yards à la course, premières tentatives à la course, yards par course, touchdowns à la course, ballons récupérés (59), fumbles recouverts (22).
Elle réalise un exploit extraordinaire, plus vu à l’époque depuis 17 ans et inédit depuis. Cette défense est la dernière à faire le triplé aux yards, autrement dit à se classer première à la course, à la passe et donc au total. Chose qui ne se produit qu’à six autres reprises dans l’histoire du football américain professionnel : Browns 1954 (NFL), Giants 1959 (NFL), Bears 1963 (NFL), Chargers 1965 (AFL), Chiefs 1969 (AFL) et Vikings 1975 (NFL). Bien que ses aînés datent, ils accordent tous plus de yards par match, hormis les Browns à 0.3 yard près. Ironiquement, les Eagles sont les seuls parmi les sept à manquer les playoffs, malgré un bilan de 10-6.
Un fait insolite expliqué en partie par ce quatrième aspect. Dans le lot des défenses historiques, elle préside la table de celles placées dans des conditions scabreuses par leur attaque et leurs unités spéciales. Philadelphie joue avec cinq quarterbacks différents car le titulaire Randall CUNNINGHAM se blesse pour la saison en semaine 1. Les deux entités rendent 49 ballons et ne marquent que 228 points ajustésPoints ajustés
Points réellement encaissés et/ou marqués par l’escouade une fois déduits les scores annexes. En défense = points nets encaissés - points défensifs marqués. En attaque = points nets marqués - points offensifs coûtés. Précisions supplémentaires ici.
. L’attaque produit à un niveau… défensif. Elle termine dans les cinq derniers dans pratiquement toutes les mesures possibles. Avec les unités spéciales, elles cumulent une DVOA de -24.5 % : la 1623e plus basse sur 1702, la pire pour une équipe affichant un bilan positif depuis 1950. Résultat : avec 198 drives affrontés, la défense est largement plus exposée que n’importe quelle autre en 1991. Ce qui, sans empêcher les chiffres ahurissants, la prive de la tête dans la catégorie reine : les points. Comment lui en tenir rigueur vu qu’il lui incombe souvent de protéger des terrains courts ? Avec 187 points ajustés, elle termine malgré tout 2e en 1991, s’assurant quand même une place dans le top 40 depuis 1978.
Pour finir, la défense se frotte à un calendrier brutal. Philadelphie affronte notamment l’une des plus grandes équipes de tous les temps (et accessoirement le futur champion) deux fois (Redskins), le champion en titre deux fois (Giants), la dynastie naissante des années 90 deux fois (Cowboys), l’attaque aérienne la plus prolifique (Oilers) et l’une des meilleures équipes à avoir raté les playoffs (49ers). Ceci se reflète en termes de DVOA : la valeur offensive moyenne des assaillants est la 4e plus élevée de la saison.
En dépit d’une adversité dantesque (soutien indigent, agenda corsé), ce onze record permet à l’équipe de ne perdre que 6 fois. À cause de cette même adversité, il ne lui permet de gagner que 10 fois.

Fin des années 80 et début des années 90, Gang Green sème la terreur dans la ligue et la NFC East, alors sûrement la division la plus dense sur le long terme jamais vue. La ligne défensive symbolise la force principale, Reggie WHITE en est le membre et le moteur le plus emblématique. Après son départ pour Green Bay en 1993, même si elle demeure dans le paysage, la défense quitte un top 10 simultané dans les catégories statistiques principales (points bruts, yards, passe, course) auquel elle était habituée avec lui.

Ses années Packers et 1996

Même s’il atterrit chez les Packers à 32 ans, son impact est immédiat. La franchise ne compte plus de défense dominante depuis l’ère Vince LOMBARDI. Une éternité. En 1992, elle termine 15e aux points brutsPoints bruts
Points totaux encaissés par les trois entités d’une équipe (défense, attaque et unités spéciales). Précisions supplémentaires ici.
| 23e aux yards (23e à la passe - 16e à la course). Soit 15|23(23-16) en abrégé. Suite à sa première campagne en 1993, elle finit 9|2(7-8). Un niveau auquel elle se maintient pendant six ans, grâce à lui notamment. Après son départ, elle chute : 20|19(18-22) en 1999. Il faut attendre 2009 pour que les Packers se classent à nouveau simultanément dans le top 10 des quatre catégories.

En 1996, il jouit d’un privilège peu fréquent, qu’un défenseur ne connaît plus depuis 1986 : jouer au sein d’une défense « double 1 », à savoir 1ère aux points bruts et 1ère aux yards. Depuis 1936 et des calendriers équivalents en nombre de dates pour tous, il s’agit de la 24e à l’époque, l’une des 32 à ce jour. Si elle n’atteint pas la magnitude globale des Eagles 1991, la défense des Packers 1996 n’en demeure pas moins historique, figurant allègrement dans le top 30 depuis 1978. Parmi ses faits de gloire, à retenir les 14 catégories statistiques classiques dans lesquelles elle règne, malgré l’émulation des 49ers, Bills, Broncos, Cowboys, Panthers et autres Steelers : points netsPoints nets
Points encaissés par la défense lorsqu’elle se trouve sur le terrain. S’obtiennent en soustrayant aux points bruts les points concédés par l’attaque et les unités spéciales. Précisions supplémentaires ici.
(208), points ajustés (185), touchdowns encaissés (19), touchdowns nets (15), matchs sans touchdown (5), yards (4156), premières tentatives (248), yards par jeu (4.24), yards à la passe (2740), yards par tentative de passe (5.41), yards ajustés par tentative de passe (3.70), évaluation (55.4), yards nets par tentative de passe (4.72), yards nets ajustés par tentative de passe (3.12).

À Philadelphie, Reggie WHITE est épaulé par les schémas agressifs de Buddy RYAN et ensuite l’expertise de Bud CARSON, deux des cadors à leur poste à travers le defensive tackle Jerome BROWN et le cornerback Eric Allen, un immense talent sous-coté en la personne du linebacker Seth JOYNER, l’inconstant mais précieux defensive end Clyde SIMMONS, un duo destructeur de safeties avec le free Wes HOPKINS et le strong Andre WATERS. À Green Bay, seul le strong safety LeRoy BUTLER fait office de star. Sinon, l’effectif se compose d’éléments solides, quoique relativement anonymes et/ou sur le déclin. Ce qui contraint le coordinateur Fritz SHURMUR à l’inventivité ; ce qui n’empêche pas l’efficacité prolongée.

 

Eagles 1991 et Packers 1996, ses deux meilleures cuvées. Ses deux défenses qui finissent l’année comme référence. Un total minime en apparence. Cependant, il n’existe qu’un numéro un chaque saison. La compétition s’avère rude dans une ligue remplie de joueurs et escouades de qualité. Les Hall of Famers Dick BUTKUS, Ronnie LOTT, Deion SANDERS, Bruce SMITH, Randy WHITE… n’ont jamais évolué dans un collectif défensif référence. Les Hall of Famers Willie LANIER, Bob LILLY, Lee Roy SELMON, Lawrence TAYLOR… dans exclusivement un. Et encore, puisqu’il subsiste matière à débattre les saisons concernées.
Deux maillots, deux défenses qui performent sur le long terme, deux OVNI, un impact identique… Longévité, régularité, pics d’excellence, records, accomplissements singuliers… Tout ce dont un joueur peut rêver pour son côté du ballon.

 

SUCCÈS COLLECTIF DE L’ÉQUIPE

Le succès individuel, c’est bien. Le diffuser sur toute son escouade, c’est mieux. Que cela bénéficie à l’ensemble de l’équipe, c’est le summum.

Comme un goût d’inachevé à Philadelphie

En 1985, les arrivées conjuguées de Randall CUNNINGHAM et lui redynamisent une organisation en perte de vitesse depuis la retraite de Dick VERMEIL en 1982. Le redressement est un processus fastidieux jalonné d’embûches. Il s’agit d’un passage incontournable pour retrouver les sommets. Reggie WHITE et ses partenaires franchissent les premiers paliers. Après six saisons d’affilée dans le négatif, les Eagles regoûtent aux bilans positifs. Et ce, cinq saisons successives, soit la deuxième série la plus longue pour la franchise, à l’époque comme maintenant. Une constance synonyme d’accès répétés aux playoffs, au sein desquels ils effectuent leur retour en 1988, après 7 ans d’absence. En 1992, après 12 ans de traversée du désert, ils y remportent leur premier match depuis le NFC Championship 1980. En Wild Card, ils gagnent à nouveau à l’extérieur après une disette longue de 43 ans. Quelques achèvements tout sauf anodins. Quelqu’un de sa carrure doit-il s’en contenter ?

De ce point de vue, Reggie WHITE peut nourrir des regrets durant sa carrière à Philadelphie. Ses camarades et lui ne franchissent jamais le palier supérieur. Un seul titre de division, quatre apparitions en playoffs en huit saisons pour un bilan de 1-4 incluant trois éliminations immédiates (les fameux one-and-done chers aux américains). Son équipe se montre compétitive bien que légèrement déséquilibrée, en raison d’une attaque sur courant alternatif. Et surtout d’une synchronisation défaillante entre les deux entités, jamais sous leur meilleur jour simultanément. Rédhibitoire pour un groupe coincé dans la division qui domine la NFL entre 1986 et 1995. La NFC East abrite alors quelques-uns des rivaux les plus redoutables de l’histoire, entre les Giants de Bill PARCELLS et les Redskins de Joe GIBBS, puis la dynastie des Cowboys.

La consécration à Green Bay

S’il affronte des formations sans conteste parmi les plus fortes jamais assemblées avec les Redskins 1991 et les Cowboys 1992, il est désormais un rouage prépondérant de l’une d’elles au sein des Packers 1996. Cette année-là, la franchise valide son premier bilan à 13+ victoires depuis le passage à 16 matchs. Après 29 ans d’attente, le trophée LOMBARDI retourne enfin sur ses terres. Ceci grâce à une défense élite soutenue par l’attaque du double MVP en titre Brett FAVRE. La combinaison parfaite. Une éminence historique ? Assurément. Qu’ont en commun Bears 1942 (NFL), Browns 1946 (AAFC), Browns 1947 (AAFC), Eagles 1949 (NFL), Browns 1955 (NFL), Packers 1962 (NFL), Texans 1962 (AFL), Chargers 1963 (AFL), Bills 1964 (AFL), Colts 1964 (NFL), Rams 1967 (NFL), Vikings 1969 (NFL) et Dolphins 1972 (NFL) ? À part évoluer jadis, dans des championnats comprenant simplement 7 à 16 franchises (à l’exception des Dolphins avec 26) ? Ces équipes sont celles qui marquent le plus de points et en encaissent le moins ces saisons-là. Comme les Packers 1996. 1870 candidats de 1936 à 2015, et la deuxième maison de Reggie WHITE devient la 14e et dernière en date parachevant cette prouesse rarissime. Un argument de poids. En voilà trois autres, basés sur des approches distinctes.
Tout d’abord, grâce à la DVOA. 1702 équipes englobées par le concept, et seulement 13 effacent la barre des 40.0 %. Notamment les Packers 1996, qui figurent 9es avec 42.0 %.
Ensuite, grâce à la somme des classements dans les catégories principales que sont les points et les yards. Peu orthodoxe, cette méthode est intéressante pour faire l’amalgame de statistiques n’ayant aucun rapport entre elles. S’il est impossible d’imbriquer points et yards dans un calcul, il devient possible d’opérer à partir des classements. L’ajout de variables à l’équation (turnovers, pourcentage en troisième tentative…) permet d’observer la qualité globale. En conséquence, plus le total est faible, plus cela signifie que l’équipe occupe les premières places, plus cela signifie qu’elle est homogène et complète. En terminant 1er aux points marqués, 5e aux yards engrangés, 1er aux points encaissés et 1er aux yards autorisés, Green Bay obtient 8 (le minimum possible étant 4). Le championnat voit s’opposer 26+ prétendants depuis 1970. Parmi les 1349 équipes dès lors concernées, les Packers 1996 figurent 5es ex-æquo. Si l’on différencie passe et course en matière de yards, en prenant la moyenne de classement, pour évacuer une hypothétique tendance unidimensionnelle ? En terminant 1er aux points marqués, 5e aux yards engrangés à la passe, 11e à la course, 1er aux points encaissés, 1er aux yards autorisés à la passe, 4e à la course, Green Bay obtient 12.5 et figure 3e.
Enfin, grâce au différentiel de points, davantage conventionnel. En saison régulière, Green Bay inscrit 456 points et en encaisse 210. Soit un différentiel de +246, le 7e plus élevé sur 16 rencontres (depuis 1978). Par match, il équivaut à +15.4, le 24e plus élevé sur un championnat où les participants disputent un nombre identique de rencontres (depuis 1936). Au cours de leurs trois sorties en playoffs, les Packers inscrivent 100 points et en encaissent 48. Pour un différentiel de +52, soit +17.3 par match. Même s’ils haussent leurs standards, ils ne le font pas autant que d’autres champions. Par conséquent, il ne s’agit « que » du 15e différentiel le plus élevé parmi les vainqueurs du Super Bowl.

Au cours de son bail chez les verts et jaunes, Reggie WHITE découvre le bonheur de posséder un alter ego offensif en la personne de Brett FAVRE, quarterback référence des années 90. Ils forment ainsi un duo détonant. Peu peuvent se vanter d’avoir aligné deux éléments de ce calibre dans le même effectif, de chaque côté du ballon. Grâce au maître à jouer, la franchise amorce déjà son retour au premier plan à partir de 1992. Le concours du Ministre de la Défense dès 1993 accélère les choses. Il enchaîne enfin les résultats conformes à sa stature. Trois titres de division (consécutifs, record de franchise à l’époque), six apparitions en playoffs (consécutives, autre record de franchise à l’époque) en autant de saisons pour un bilan de 9-5 incluant une seule élimination immédiate, et surtout deux participations coup sur coup au Super Bowl pour une bague. L’épopée redonne ses lettres de noblesse à une organisation alors en perdition. En 1993, les Packers retrouvent le chemin des playoffs après s’être égarés pendant 11 ans. À cette occasion, ils y engrangent leur première victoire depuis le tour de Wild Card 1982, soit le premier succès à l’extérieur en 27 ans. En 1995, ils connaissent leur première saison à 11+ victoires depuis les calendriers à 16 matchs, synonyme de premier titre de division en 23 ans. Cerise sur le gâteau, ils s’offrent le luxe d’incarner la bête noire des grands 49ers, les éliminant trois fois (dont deux au Candlestick Park) en quatre confrontations, par 10 points d’écart minimum. L’unique revers constitue son seul one-and-done dans le Wisconsin, une défaite étriquée qui survient à 8 secondes de la fin sur l’action nommée The Catch II. Ce match est par ailleurs le dernier qu’il dispute sous ce maillot. Rien qu’un sacre avec une telle défense et un tel chef d’orchestre sonnerait presque comme un échec partiel. Néanmoins, à mesure que Brett FAVRE se développe en tant que quarterback, Reggie WHITE vieillit. En outre, si ce dernier échappe partiellement aux Cowboys en sortant de la NFC East, il les retrouve trois fois en janvier sous ses nouvelles couleurs, pour autant d’éliminations. Aux Eagles comme aux Packers, cette division l’aura donc entravé, l’empêchant d’étoffer un CV déjà bien garni.

 

Deux maillots, deux écuries qui performent sur le long terme à des degrés différents, une équipe au panthéon, un impact identique… Longévité, régularité, pics d’excellence, records, accomplissements singuliers… Tout ce dont un joueur peut rêver pour son équipe.

 

 

Généralement, les principales lignes d’une carrière s’écrivent dans la vingtaine puis se peaufinent durant la trentaine. Reggie WHITE connaît ses succès individuels et défensifs majeurs aux Eagles ; il vit ses plus belles heures collectives aux Packers. Du reste, il écrit plusieurs glorieuses lignes de l’histoire des deux franchises, dont il influence la trajectoire de la défense et de l’équipe entière.
Marque-t-il son temps ? Évidemment, et bien au-delà. Est-il le meilleur à sa position et/ou de son côté du ballon ? Alors que les attaques commencent à fleurir et imposer leur loi au tournant des années 80, il fait partie d’un comité réduit : celui des défenseurs inévitables et caractéristiques de cette période. Et même de toutes les périodes. Au royaume des pass rushers, il était le roi. Il l’est sans doute toujours. Pouvait-il mieux faire avec les moyens à sa disposition ? Individuellement : quelqu’un avec un tel rendement et absent une seule fois en 15 saisons peut difficilement prétendre à plus. À Philadelphie en défense : peut-être embrasser plus de constance dans l’excellence d’une saison à l’autre. Mais l’environnement de travail instable ne plaide pas cette cause. Le système de Buddy RYAN est complexe et demande du temps pour être maîtrisé, celui-ci est viré lorsque les choses commencent à se mettre en place ; la succession assurée par Bud CARSON augure d’une dynastie défensive, le décès tragique de Jerome BROWN été 1992 puis la dispute contractuelle début 1993 entre Reggie WHITE et la direction amputent l’escouade de ses deux piliers. À Philadelphie en équipe : peut-être gagner d’autres matchs de playoffs, particulièrement à domicile, où les revers de 1989 et 1990 font tâche. Mais ces Eagles n’ont jamais eu l’étoffe de favoris. Pas dans la division de la mort ; pas dans une conférence aussi impitoyable ; pas face à des poids lourds aussi complets, stables et bien entraînés que Dallas, New York, San Francisco ou Washington. À Green Bay en défense : difficile. À Green Bay en équipe : faire le doublé. La déconvenue subie contre les Broncos au Super Bowl XXXII, une énorme surprise tant ses Packers partent favoris, forge sa plus grande désillusion sportive. Si l’équipe de 1996 demeure supérieure, celle de 1997 la talonne. Elle clôt la saison régulière en trombe, aborde les playoffs et le Super Bowl en pleine confiance. Ce qui renforce le sentiment de rendez-vous manqué.
Succès individuel au service du succès collectif : relatif à Philadelphie, (quasiment) total à Green Bay. Un personnage à l’héritage colossal qui, comme rarement, marque l’histoire du jeu dans ses trois dimensions : individuelle, collective de son côté du ballon, collective tout court. Defensive end émérite, défenseur épanoui, sportif couronné… Le tout à une période dense, chargée en adversaires prestigieux. Force est de constater que Reggie WHITE valide nombre de critères relatifs à la grandeur. Que demander de plus ? Un mot suffit à résumer les joueurs de cet acabit : légende.

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 Les perdants d'hier sont les gagnants de demain.  – Terrell Owens

En VO :  Yesterday's loser was determined to become tomorrow's winner. 

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